Ce texte est une reprise de mon article paru dans la Bulletin de la Librairie Goscinny n°3 Novembre 2006

Le docteur Gaudeamus

Le docteur Gaudeamus a été créé par le dessinateur espagnol Coq (1907-2001) sur un scénario de Marcel Dassault.
Sa publication commence en 1956 dans Jours de France, dont le propriétaire n’est autre que le même Marcel Dassault qui a probablement trouvé le nom du personnage en se souvenant de ses années estudiantines à Sup-aéro.
En effet, « Gaudeamus igitur » est un chant du folklore étudiant, signifiant en latin « Réjouissons-nous ».
Il s’agit en effet de réjouir les lecteurs de Jours de France avec une bande dessinée facile à lire puisque le style de Coq est très proche du dessin d’humour et que l’argument des histoires est rigolo : un docteur réussit à mettre au point un sérum de rajeunissement lui permettant de redevenir un bébé tout en conservant son cerveau d’adulte.
Il est accompagné d’une ravissante jeune femme, Pépita, qui deviendra son épouse ou sa nounou, suivant son âge.
Au bout de quelques années la série tourne en rond. Nous retrouvons nos héros coincés sur une île déserte, ils ont apprivoisé un par un tous les animaux de l’île grâce à l’élixir de persuasion et Pépita s’ennuie (tout comme le lecteur d’ailleurs). Le scénariste en panne d’inspiration en profite pour faire raconter à Gaudeamus un conte genre « mille et une nuit » d’une vingtaine de pages sensé la distraire.
Enfin, ils décident de retourner à la civilisation grâce à Nonoche, la baleine qui va les y conduire, mais Pépita ne veut pas abandonner tous ses amis : Wamby le faon, Kiki l’écureuil, Da le cheval … Pas de problème Gaudeamus construit une arche que va traîner Nonoche la baleine jusqu’au port de Marseille.
C’est à ce moment précis que René Goscinny reprend le scénario.
Cette décision avait été prise quelques temps auparavant lors d’une réunion (1) au cours de laquelle Marcel Dassault lui avait demandé ce qu’il pensait de cette bande dessinée, « Je lui ai répondu : le dessin n’est pas mal, mais en scénario, ce n’est ni fait ni à faire, c’est très mauvais. Tout le monde a pâli, et Dassault m’a dit : c’est moi qui l’écrit » (2). Mais beau joueur il lui propose de prendre en main la suite des aventures du docteur.

Ayant hérité d’un bestiaire qu’il n’a pas spécialement envie d’animer (Coco le perroquet, Boum l’éléphant et Pampan la panthère) Goscinny insuffle à Gaudeamus le désir d’acheter un cirque. Coup double : son premier épisode se déroule dans un monde qu’il maîtrise bien (après sept aventures de Pistolin le dompteur) et tous les animaux se retrouvent indifférenciés derrière les barreaux d’une ménagerie.
D’emblée, les dialogues sont brillants ; par exemple, dès la troisième planche, la discussion entre Gaudeamus et le propriétaire d’un cirque minable :
G : Pardon Monsieur, nous…
P : Allez vous en. Il n’y a plus de spectacle, je me retire faillite faite.
G : Mais nous voulons acheter le cirque.
P : Acheter ?! Venez donc dans mon bureau, nous allons conclure…
G : Conclure ? Mais nous n’avons pas encore commencé.
P : Comprenez-moi bien. Mon cirque, merveilleux établissement, je ne le vendrai à aucun prix !
G : Ca tombe bien, je n’ai pas d’argent …


Gaudeamus bébé devient, bien entendu, la vedette du cirque, ce qui alarme les très austères dames de la Ligue pour la protection des nouveaux nés dont fait partie une certaine Clotilde qui a su garder son âme d’enfant et qui préfigure la Mary de la Société des dames de El Plomo (Calamity Jane).


Puis, après quelques péripéties, Gaudeamus et Pépita décident d’abandonner le cirque. Ils montent dans un taxi pour rentrer chez eux … Mais le chauffeur du taxi s’avère être un gangster qui les kidnappe pour pouvoir utiliser le sérum du docteur à des fins illégales.

En raison du support et du fait qu’il pensait (à raison jusqu’à présent) que jamais Gaudeamus ne serait édité en album, Goscinny n’a pas écrit pour chaque épisode, de début vraiment défini, ni de fin vraiment tranchée où, par exemple, les héros font un banquet ou s’éloignent vers le soleil couchant.

Il a dû ressentir une certaine liberté avec la possibilité de développer une idée sans nécessairement atteindre le format « histoire complète en album » de 30 ou 44 planches.

Les aventures se déroulent dans des milieux que l’auteur connaît parfaitement pour les avoir déjà traités comme le cirque, la croisière, Hollywood, les gangsters, l’Angleterre, les courses de chevaux, mais leur traitement est sensiblement différent puisque c’est sa seule BD (avec le facteur Rhésus) à s’adresser aux adultes.
Il aborde ainsi pour la première fois en BD des thèmes comme la jalousie, les rapports entre époux, la séduction, la célébrité, les enfants, la mode, etc…

Les inventions du Professeur Gaudeamus (sérum de rajeunissement, de persuasion, d’invisibilité et élixir de séduction) servent rarement à dénouer l’intrigue mais sont bien au contraire sources de complications.
Ainsi dans l’histoire « Retour d’affection » au bout de quelques vaporisations d’élixir de séduction, tout le monde est amoureux de tout le monde, mais le but recherché : rendre un mari à nouveau épris de sa femme (une amie de Pépita) ne sera atteint qu’après moult quiproquos.

Si Goscinny n’abuse pas d’inventions de nouveaux sérums et autres élixirs, il se sert volontiers de sa « potion magique » personnelle, dont la formule nous est bien connue, mais reste tout à fait inimitable : une structure de récit irréprochable, énormément d’humour, une science aboutie de l’ellipse, des personnages épisodiques savoureux, une pincée de seconds rôles hilarants et une bonne dose de parodie. « L’idole fachée » par exemple, pastiche les gadgets d’agent secret de « Goldfinger » sorti quelques mois plus tôt


Contrairement aux autres séries méconnues du génial scénariste, la plupart écrites dans les années cinquante, le Docteur Gaudeamus est une œuvre contemporaine de ses plus grandes réussites. Il est dommage qu’elle ne soit accessible qu’aux heureux (et costauds) propriétaires de toute la collection de Jours de France de 1960 à 1971 (environ 200Kg).

(1) Goscinny travaillait déjà pour Jours de France où il avait créé Bobby (sorte de grand frère du Petit Nicolas)
(2) Interview Lui. D. Eudes (Aout 1965)

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