Extrait du livre de Claude-Jean Philippe René Goscinny Ed Seghers:

Au cours d'un entretien,j'avais demandé à Goscinny quelle était sa définition de l'humour et il m'avait répondu : " Il n'y a pas de définition de l'humour. Un grand humoriste anglais a dit un jour que l’humour le faisait penser à une grenouille : quand on ouvre la grenouille, on sait comment elle fonctionne, mais elle ne vit plus "

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Deux déclarations de Goscinny :

 

L'humour ne se fait jamais sur la gentillesse, mais la colère ou l'aigreur perpétuelles sont aussi ennuyeuses que le gnangnan. on est pas là pour faire des cadeaux, mais aimer ce qui vous fait rire est le seul moyen de faire rire. (Goscinny Marie-Ange Guillaume Seghers 1987)

 

 

La parodie est le ressort essentiel de votre humour ?

C'en est l'un des ressorts, certainement. Vous savez, je ne suis pas un agressif, je ne dénonce rien. Mais j'aime bien parodier les choses, voir les choses telles qu'elles se passent avec le petit décalage qui les rend drôles.

Qu'appelez-vous le "petit décalage" ?

Eh bien, le petit décalage c'est cette logique qui peu à peu se déforme pour devenir de la parodie. Quel exemple vous donner ? Puisqu'il est très frais dans mon esprit, prennons le dernier épisode que j'ai écrit : les Romains décident, pour dissuader les Gaulois de leur taper dessus, de leur donner le goût du commerce international.
Les Romains achètent de plus en plus de menhirs et leur cours augmente. Alors les Gaulois se mettent tous à faire des menhirs et plus personne ne tape sur les Romains.
Mais, à partir de là, je retombe dans une sorte de réalité contemporaine : comment écouler un produit pour lequel il y a surproduction ? Comment, à Rome, commercialiser tous ces menhirs ? A ce moment là intervient -et c'est le décalage- un personnage qui fait ce que font maintenant les publicitaires. Il arrive avec un chevalet et des plaques de marbre, il dessine des graphiques, il explique comment trouver le créneau, la cible, le positionnement, etc.
J'ai assisté à ce genre de séance, trés souvent chez Dargaud, mon éditeur, où tous ces gars là expliquent ce qu'il faut faire pour vendre un journal. Ils arrivent avec leurs grandes feuilles bourrées de chiffres, de courbes, ils font des dessins, et moi, à les regarder et à les entendre, je passe des moments d'une grande qualité, je m'amuse, parce que pendant qu'ils parlent, moi je décale !

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Enfin un article très sérieux paru dans Ethnologie française :"Astérix. Un mythe et ses figures" 1998 (Merci Eric)

Astérix : Les jeux de l’humour et du temps

Par Judith Kauffmann (Université Bar-Ilan (Israël).

Cette déclaration de René Goscinny [sur la grenouille] ramène à leurs justes dimensions les ambitions des analystes de l’humour. Toute théorie, quelle qu’elle soit, finit par achopper sur un je-ne-sais-quoi qui lui échappe. Il reste qu’une étude menée avec les instruments adéquats permet d’affiner – donc d’enrichir – la compréhension d’une œuvre humoristique, et par là d’intensifier le plaisir que nous y prenons.

La bande dessinée offre un matériau particulièrement riche. Parce qu’elle associe image et texte, elle multiple les mécanismes humoristiques et leur interaction complexe – par concentration des effets ou par tension réciproque – en augmentant la portée.

Je me propose de prendre pour point de départ une scène qui me paraît exemplaire. Mon choix s’est porté sur celle d’Obélix « […] en train de servir un demi » (Astérix chez les Helvètes, p.6). cet épisode, qui se caractérise par ses aspects burlesque, digressif et répétitif et par le mélange temporel, fournit l’orientation générale de mon analyse.

L’exploration systématique de l’humour astérixien, avec son jeu combiné du graphique et du verbal, permet d’en définir la spécificité par une pratique originale – paradoxale – de l’anachronisme.

Introduction à l’humour astérixien :

Abraracourcix, dépité par les maladresses répétées de ses porteurs qui l’ont fait tomber du haut de son bouclier, vient de les renvoyer. A la recherche de remplaçants, il propose à Astérix et Obélix l’honneur de cette charge. Parce que la disproportion entre leur stature respective de nain et de géant transforme le pavois en un plan incliné dangereux et instable, Astérix propose qu’Obélix soit l’unique porteur. Abraracourcix oppose un refus courroucé : porté par un seul guerrier, il ne serait plus qu’un « demi-chef ».

A la scène explicite du cortège triomphal du chef se superpose une image secondaire, suscitée par la posture suggestive d’Obélix, la présence surprenante – incongrue- d’un torchon de cuisine sur son bras et la ressemblance formelle entre le bouclier et un plateau. Parallèlement, le commentaire d’Astérix, « Il est en train de servir un demi » suggère, sous l’impulsion polysémique du jeu de mots, la jonction improbable – et ridiculisante – du cérémonial guerrier avec les gesticulations d’un garçon de café.

L’interférence de séries – l’expression est de Bergson [1961 : 73] pour définir l’un des mécanismes fondamentaux du comique – en réunissant deux champs sémantiques, discordants et incompatibles, dans un texte et dans une image lisibles simultanément à deux niveaux, crée un état de fusion et de tension. La coïncidence verbale induit une interprétation bivocale que redouble, en la renforçant – c’est le cas de notre exemple – ou en les contrariant, la vision bifocale du couplage graphique ; et l’incongruité de la rencontre fait vibrer le texte dans la tension non résolue d’une transgression de nos représentations mentales. Arthur Koestler a forgé le mot de « bisociation » [1965 : 21] pour désigner ce type de perception simultanée et contradictoire qui fonde la synthèse foudroyante de l’humour [Raskin, 1985].

Le bouclier réapparaît d’un album à l’autre, dans toutes sortes de contextes et sous toutes sortes de variantes. Ce caractère sériel, par le rôle de la répétition et de l’accumulation, lui confère une importance particulière. L’épisode du demi-chef – et en cela aussi il est exemplaire – se distingue par quelques propriétés fondamentales, qui l’apparentent au gag. (…)

Dans la plupart des cas, l’humiliation est complète et concrète. Dans l’épisode du demi, la culbute réelle évitée de justesse s’accomplit de manière métaphorique : même s’il échappe à l’épreuve physique, le chef souffre, dans son honneur bafoué, d’une pénible blessure psychologique. Les tentatives pour éviter le dénouement ridicule tournent généralement à la catastrophe. Même lorsque les porteurs font, une fois n’est pas coutume, preuve d’habileté pour éviter un obstacle. Abraracourcix échoue et se retrouve suspendu entre ciel et terre (Le devin, p.13). (…)

Les gags du bouclier fonctionnent simultanément à plusieurs niveaux. Ces aventures débouchent sur le même effet dégradant : le despote, jeté à bas de son bouclier, est déchu de sa dignité. Le comique qui entremêle ainsi le concret et l’abstrait constitue une des propriétés fondamentales du burlesque, où le « bas corporel », pour reprendre l’expression de M.Bakhtine [1970], déclenche, par son pouvoir d’attraction, un mouvement irrésistible de bascule du vertical à l’horizontal. (…)

L’effet anachronique :

Débordant les bisociations locales et générales, un mécanisme d’anachronisme global superpose, dans la (con)fusion temporelle, les deux mondes de l’antiquité gallo-romaine et de la France contemporaine.

L’anachronisme n’est pas comique en soi. Il peut avoir des causes et des motivations diverses qui se ramènent, pour l’essentiel me semble-t-il, à deux grandes catégories : maladresses dues à l’ignorance des incompatibilités historiques, rapprochements audacieux qui obéissent à une volonté pédagogique d’actualisation.

L’anachronisme d’Astérix est comique parce que l’amalgame incongru est intentionnel : la vision double de la bisociation a un effet burlesque, puisque l’image seconde crée un effet du discordance descendante. (…)

Un signifié premier, explicite, exposé, est associé à un second, indirect et latent qui attend d’être actualisé par le récepteur, lui-même dédoublé en un destinataire premier, intradiégétique, le personnage enfermé dans les limites de l’univers fictif, et un second, externe – extradiégétique. Ce dernier, le lecteur qui occupe une position symétrique à celle de l’émetteur-auteur à l’autre extrémité de la chaîne communicative, bénéficie d’une perception panoramique des choses et des événements.

L’anachronisme astérixien oriente, dans une perspective systématiquement gallocentrique, une généalogie fantaisiste des coutumes ou des symboles modernes et la resolution farfelue d’énigmes historiques.

Obélix, grand producteur de menhirs devant Toutatis, serait responsable de la mutilation du grand Sphinx de Gizeh. Astérix, qui aurait découvert l’Amérique et « inventé » le thé et les frites, serait aussi l’initiateur de l’art tauromachique (Astérix en Hispanie, p.46). (…)

L’anachronisme, dans sa forme traditionnelle simple, débanalise les aspects familiers et évidents de notre univers. L’anachronisme paradoxal avec ses incongruités au second degré déstabilise notre relation à cet univers : il pose le problème du rapport du langage à la réalité et souligne le pouvoir du langage à déjouer nos représentations de cette réalité.

Une grande variété de jeux de mots et/ou d’images repose sur ce type d’anachronisme. L’adaptation d’une réalité moderne au contexte antique passera par le retour au sens premier, concret, d’une composante dévitalisée d’un mot contemporain. « Amphoreville », « charovoie »,… (…)

Conclusion : anachronisme et humour :

Ce qui paraît essentiel dans l’anachronisme humoristique qui anime de part en part la saga astérixienne, c’est le rôle majeur qu’y joue la reconnaissance. Le système des allusions visuelles et verbales prend, dans un tissage subtil de nouveauté et de déjà-vu, le lecteur qui goûte au plaisir double de la trouvaille et de l’énigme résolue. Le retour à la stabilité sécurisante d’un terrain familier constitue, après l’effet sidérant de la surprise première, une condition sine qua non de l’éclosion du rire (…).