Q
: Comment avez vous rencontré Uderzo ?
René
Goscinny : Nous nous sommes rencontré il y a maintenant 17 ans dans une agence
de presse franco belge où nous avions été engagés séparément .
Alors
moi à l'époque je faisais les dessins et mes textes également et lui il faisait
également des textes et alors nous nous sommes connus et immédiatement nous
avons décidé de travailler ensemble, lui faisant les dessins et moi les textes.
Q
: Est-ce que vous avez fait tout de suite Astérix ?
RG : Non….étant
donné que je connais Uderzo depuis 17 ans …..Astérix, lui il a 8 ans, vous
savez nous avions déjà travaillé 9, 10 ans ensemble avant de faire Astérix.
Q
: Et est-ce que le tout premier Astérix a été un succès ?
RG :
Ca dépend ce qu'on entend par succès c'est à dire que…il a eu une vente très
faible mais parce qu'il n'était pas connu du tout, quand on sort un nouveau
personnage, les gens ne le connaissent pas et les gens vont rarement chez
un libraire pour lui demander "qu'est ce qu'il y a de nouveau ?",
ou bien ils le connaissent ou bien ils le voient.
Alors
le premier a eu donc une vente très faible, mais enfin ceux qu'ils l'ont acheté
l'ont aimé, en ont parlé autour d 'eux et dès le deuxième Astérix la vente
a été doublée et si je parle de vente quand je parle de succès c'est parce
que c'est notre seul critère de succès on peut pas savoir autrement, ça paraît
terre à terre mais si vous vendez beaucoup de livres c'est que c'est un succès.
Q
: Et est ce que vous croyez que c'est les grandes personnes ou les enfants
qui ont fait ce succès ?
RG : Oh
je crois que c'est les deux, en réalité, vous êtes bien placés pour savoir
que être jeune n'est pas simplement une question d'age, on peut rester jeune
très longtemps, il y a des garçons plus jeunes que vous qui sont des vieux
déjà et qui le resteront toujours et d'autres, mon dieu, qui aiment bien…..enfin
qui gardent l'esprit assez jeune, qui aiment bien les choses qui les amusent
et tout ça, par conséquent ce n'est pas une question d'age, moi je ne me suis
jamais adressé spécialement aux enfants, aux jeunes gens ou aux adultes, j'ai
fait des choses qui me semblaient pouvoir amuser tout le monde.
Q
: Et est ce qu'il va continuer ? Il y en aura beaucoup d'autres, je pense.
RG : Ah
je l'espère oui !
Q
: Et comment trouvez- vous les thèmes ?
RG : Eh
bien les thèmes……vous savez les idées, les thèmes tout ça, ça vient d'une
façon …. inexplicable, on cherche et on finit par trouver, c'est ce qui fait
la base de mon métier, maintenant dans le mécanisme, je me réunis avec Uderzo,
nous travaillons ensemble, nous cherchons le thème de la prochaine aventure.
Alors,
par exemple pour Astérix, nous avons une règle, mais enfin que nous suivons
à peu près, que nous ne suivrons peut-être pas toujours, un épisode d'Astérix
se passe à l'étranger et un épisode se passe en Gaule. Alors on cherche à
peu près ce qui pourrait leur arriver.
Q
: Les thèmes vous les choisissez peut-être avec l'actualité du jour ?
RG : Euh..
non pas tellement, mais enfin il peut nous arriver que l'actualité nous inspire
quelque chose que nous utilisons, mais parce que ça nous a fourni une idée
plus que comme actualité, par exemple en ce moment nous sommes en train de
travailler sur les Jeux Olympiques, seulement c'était notre idée de le faire,
depuis longtemps.
Le fait
qu'il y ait les Jeux Olympiques cette année, si vous voulez, nous a donné
l'idée plus pressante de le faire maintenant. Mais de toute façon quand l'album
paraîtra les Jeux Olympiques seront terminés alors par conséquent…mais enfin,
il peut arriver, oui par exemple j'étais à Montréal avec Uderzo et nous avons
vu l'Exposition Internationale, ce qui nous a donné l'idée, peut-être un jour
dans l'avenir de faire une Exposition Internationale en Gaule, parce que il
pourrait y avoir des gags amusants.
Q
: Combien de temps vous mettez pour faire un livre à peu près ?
RG : Un
livre, environ six mois.
Q
: Et comment vous le faites, c'est à dire vous mettez les idées et puis vous
essayez de les creuser ?
RG : Oh
ben c'est à dire…. non en réalité je fais d'abord un synopsis, un résumé,
mais qui est déjà une histoire longue et très détaillée et une fois que j'ai
vu ça avec Uderzo, voir si tout est d'accord, je fais un découpage, nous appelons
un découpage un scénario où on décrit image par image avec le dialogue, et
c'est ce découpage que je donne à Uderzo qui à ce moment là fait les dessins.
Maintenant
avant ça, il y a une chose très importante, c'est la documentation, parce
que pour faire Astérix, nous nous documentons beaucoup, alors par exemple
si je prends un sujet sur la Grèce, et bien je lis des tas de livres sur la
Grèce, sur ce qui se passait à cette époque et Uderzo de son côté recherche
des illustrations.
Dring Dring
Q
: Est-ce qu'il y a eu un Astérix qui n'a obtenu aucun succès
et qui n' a pas été publié?
RG : Non...
Non.
Q
: Avez -vous voulu vous moquer des Romains dans les aventures d'Astérix?
RG : C'est
à dire....oui bien sûr, je me suis moqué des Romains.
Je me moque des Romains, mais des Romains comme une chose assez théorique,
il faut des adversaires, mais enfin je me moque d'eux, d'une façon,
si vous voulez.....c'est pas tellement parce qu'ils sont Romains, oui je me
moque de différentes choses, c'est à dire, le côté
pompeux des Romains, bien sûr je le démonte, les petits travers
de l'armée, je les démonte aussi, des choses comme ça.
Mais enfin, mes légionnaires Romains sont comme mes Gaulois, ce sont
des braves types, quoi, ils sont là, ils aimeraient mieux être
ailleurs.
Je ne
suis jamais vraiment méchant avec eux, quand je me moque plus fort
d'un Centurion, c'est plutôt d'un chef que je me moque, plutôt
que d'un Romain.
Je pense
que vous aurez le plaisir de faire votre service militaire, moi je l'ai fait,
et bien...... évidemment il y a des gens qui disent : "Moi quand
je sortirai, je règlerai son compte à l'adjudant".......ben
moi j'ai fait Astérix.
Q
: C'est un genre de vengeance.
RG : De
vengeance, non, c'est simplement un défoulement, vous savez c'est un petit
peu le plaisir qu'on prend quelquefois à démonter l'autorité établie.
Je pense
qu'au lycée, de temps en temps, vous vous amusez à vous moquer d'un professeur,
ce n'est pas parce que vous haïssez le professeur ou vous avez envie de vous
venger de lui, c'est une petite défense inoffensive.
Dring Dring
Q
: Je voudrais savoir aussi si vous relisez vos anciennes œuvres et si vous
trouvez des choses que vous ne feriez plus maintenant.
RG :
Vous savez dans un travail comme le mien, il faut toujours se perfectionner,
il faut toujours faire mieux, par conséquent quand je lis, je ne lis pas très
souvent mes livres parce que je crois que c'est un peu à éviter, je le fais
quand l'album sort et je le relis beaucoup plus tard, quelquefois des années
plus tard.
Alors
évidemment je trouve des choses que je regrette d'avoir fait, mais vous savez
en général, à part quelques petites choses dont on est content, on regrette
toujours d'avoir fait ce qu'on a fait, on pense qu'on aurait pu faire mieux.
Le jour
où je penserai que je ne peux plus faire mieux, et bien à ce moment là, il
faudra que je fasse un autre métier.
Q
: Est-ce que vous pensez que la parution d'Astérix dans Pilote rende la vente
des albums moins importante ?
RG : Non,
non absolument pas. Assez curieusement d'ailleurs ça n'a aucun rapport, ça
ne change rien, au contraire même.
Q
: Qui est votre plus grand concurrent ?
RG : Oh!
je n'ai pas de concurrent, j'ai des confrères ce n'est pas la même chose,
la vente de l'un ne gène pas à la vente de l'autre, le succès de l'un ne porte
pas ombrage au succès de l'autre.
Disons
celui que j'admire le plus, plutôt que concurrent, et bien je crois que ça
reste Hergé, j'aime beaucoup Hergé, j'aime beaucoup Tintin, j'aime bien la
façon dont c'est fait…
Mais
il en a beaucoup, vous savez, il y a des tas de dessinateurs comme Franquin
qui fait Spirou, bien sûr les anciens, Alain Saint-Ogan qui faisait Zig et
Puce, qui sont des gens que j'admire beaucoup…. Morris fait Lucky Luke mais
là je ne peux pas en parler parce que je le fais avec lui, mais Morris est
un grand dessinateur.
Dans notre
métier la notion de concurrence ne joue pas tellement, elle ne joue pas non
pas parce que nous sommes meilleurs que d'autres, c'est pas pour ça mais enfin
c'est parce qu' effectivement le succès de l'un ne porte pas ombrage au succès
de l'autre.
Q
: Est-ce que vous êtes content du film qu'on a tiré de votre album ?
RG : Comme
je vous l'ai dit, je ne suis jamais vraiment content de ce que j'ai fait,
pour ce qui est du film, au point de vue technique, non, honnêtement je n'en
suis pas content parce que c'était un premier essai, mais nous savions que
nous n'allions pas en être content, seulement il fallait prendre le risque,
il fallait se jeter à l'eau pour pouvoir faire mieux la prochaine fois, comme
disent les sportifs, et nous sommes en train de travailler sur un autre film,
qui lui, à mon avis sera infiniment meilleur au point de vue technique.
Q
: Ce sera sur quel album ?
RG : Astérix
et Cléopâtre, seulement nous allons rajouter beaucoup de choses, ce que nous
n'avons pas fait pour le premier et au point de vue technique, parce que la
technique du dessin animé est une chose très compliquée, ce sera infiniment
meilleur.
Q
: Est-ce que vous avez une équipe qui dessine ou qui fait les textes ?
RG : Non,
non nous travaillons à deux, Uderzo et moi.
Q
: Est-ce que vous avez fait un personnage qui n'aurait eu aucun succès et
que vous aimiez bien ?
RG : Des
personnages on en a fait beaucoup, il y en a qui ont été adoptés plus ou moins
par le public, j'ai fait des choses, oui, qui n'ont pas eu de succès, mais
on ne peut pas dire que j'ai des regrets.
La plupart
des personnages que nous avons faits et que nous avons aimés, ont bien marché,
celui que nous regrettons d'avoir abandonné, que nous reprendrons peut-être
un jour, nous l'avons abandonné simplement parce que nous n'avions plus le
temps de le faire, c'est Oumpah Pah, qui passait dans le journal de Tintin
et qui était un personnage que nous aimions beaucoup, mais il avait du succès.
Q
: Est-ce qu'il y a une école de Bandes dessinées ?
RG : Non
malheureusement ça n'existe pas, enfin il y a des cours de Bandes Dessinées
paraît il, mais enfin il n'y a pas vraiment une école et je dois dire que
ce que j'ai vu jusqu'à présent ne m'a pas convaincu, il y a maintenant une
organisation américaine de cours par correspondance, ils se sont mis en rapport
avec moi, ils m'ont montré des choses intéressantes et ils vont donner des
cours de Bandes Dessinées qui me semblent assez intéressants, mais enfin ça
n'est quand même qu'une école par correspondance……. Non je ne crois pas qu'il
y ait grand chose malheureusement.
Q
: A quoi sert un rédacteur en chef ?
RG : Et
bien un rédacteur en chef, c'est celui qui dirige tout un journal, qui décide
ce qu'il y aura dans le journal, qui donne le ton au journal et qui choisit
tout ce qu'il y aura dedans.
C'est
vraiment le commandant d'un bateau, il a un pouvoir assez grand, enfin c'est
un peu un dictateur, seulement si le tirage du journal baisse, et bien on
change de rédacteur en chef, on change de commandant.
Q
: Qu'est ce que vous demandez comme qualité à une Bande Dessinée ?
RG : Oh
une qualité, c'est qu'elle plaise au lecteur, c'est la qualité primordiale,
je dois même faire taire mes goûts personnels…. quelquefois il peut y avoir
une Bande Dessinée que moi, personnellement je n'aime pas beaucoup mais que
le lecteur aime bien et par conséquent c'est le lecteur qui a raison.
Maintenant
ce que je demande à une Bande Dessinée en tout cas c'est d'être bien dessinée
et que les idées soient originales, je ne peux pas supporter qu'une Bande
Dessinée soit une copie de quelque chose qui a déjà été fait. Et puis il faut
que ce soit bien fait, il faut que les auteurs aient du talent et que surtout
ils travaillent beaucoup, que je vois dans ce qu'ils font un grand soin.
Q
: Et est ce que vous allez faire un Astérixland ?
RG : Oh!
je ne pense pas, je ne sais pas, vous savez je ne suis pas Walt Disney, nous
sommes en France, nous ne sommes pas en Amérique, il y a des choses qu'on
peut faire là bas qu'on ne peut pas faire ici et puis je n'ai pas l'âme d'un
industriel, non pas que ça soit péjoratif, c'est très bien d'avoir l'âme d'un
industriel mais enfin je me vois assez mal en train de gérer des histoires
d'Astérixland.
Maintenant
il ne faut pas préjuger de l'avenir, on ne sait jamais…
Q
: Et quels conseils vous donneriez aux jeunes qui voudraient suivre votre
carrière ?
RG : Des
conseils…. vous savez c'est très difficile de donner des conseils, moi quand
j'étais jeune, je ne les acceptais pas, je ne vois pas pourquoi les jeunes
les accepteraient maintenant.
Des conseils,
je ne peux pas en donner, je crois que c'est toujours assez, comment dirais-je,
assez imprudent de donner des conseils, la seule chose….. je peux les prévenir
de quelque chose, par exemple que c'est un métier extrêmement difficile, horriblement
difficile, que ça demande énormément de travail et beaucoup de patience, quand
on veut se lancer dans ce métier, il ne faut pas espérer, sauf miracle, de
réussir tout de suite à avoir du succès, il faut travailler longtemps en gagnant
très peu d'argent ou en n'en gagnant pas du tout, enfin c'est très très difficile.
Maintenant
d'ailleurs c'est encore plus difficile qu'à l'époque où j'ai débuté.
Q
: Et est ce que vous avez fait ça tout de suite, quand vous étiez jeune vous
avez voulu tout de suite être dessinateur ?
RG : Oui,
oui depuis j'étais tout petit même, tout petit je voulais faire rire les copains.
Q
: Et vous pourriez me dire pourquoi vous avez retiré Le Petit Nicolas de Pilote?
RG : Et
bien, Le petit Nicolas, tout simplement parce que avec Sempé, nous l'avons
fait pendant sept ans, toutes les semaines, et que nous avons décidé à un
moment donné d'arrêter un peu parce que nous étions un peu fatigués, c'était
aussi assez difficile à faire. Maintenant il n'est pas impossible que nous
le reprenions, c'est tout simplement parce qu'au bout d'un certain temps,
mon dieu, surtout que c'était très très très difficile à faire, toutes les
semaines un conte de Nicolas, c'était vraiment très dur, alors vous savez,
sept ans c'est long.
Alors
on a arrêté, peut-être qu'on le reprendra, on en parle avec Sempé de temps
en temps.
Q
: Bon ben je vous remercie.
RG : Mais
je vous en prie.
|