Nous avons eu la chance de pouvoir rencontrer Goscinny grâce à une relation travaillant à Pilote, c'est donc dans son bureau du journal qu'il nous a reçu, prenant le temps de répondre patiemment aux questions naïves de trois jeunes garçons de 12/13 ans, fans d'Astérix et de Pilote :

C'est la première transcription de cette entrevue de 20 mns, enregistrée sur mini K7, non "rewritée" que je vous propose ci-dessous.

Vous avez la possibilité d'écouter les réponses en MP3 en cliquant sur l'icone : (entre 97 et 577Ko). Son d'époque garanti !

Q : Comment avez vous rencontré Uderzo ?

René Goscinny : Nous nous sommes rencontré il y a maintenant 17 ans dans une agence de presse franco belge où nous avions été engagés séparément .

Alors moi à l'époque je faisais les dessins et mes textes également et lui il faisait également des textes et alors nous nous sommes connus et immédiatement nous avons décidé de travailler ensemble, lui faisant les dessins et moi les textes.

Q : Est-ce que vous avez fait tout de suite Astérix ?

RG : Non….étant donné que je connais Uderzo depuis 17 ans …..Astérix, lui il a 8 ans, vous savez nous avions déjà travaillé 9, 10 ans ensemble avant de faire Astérix.

Q : Et est-ce que le tout premier Astérix a été un succès ?

RG : Ca dépend ce qu'on entend par succès c'est à dire que…il a eu une vente très faible mais parce qu'il n'était pas connu du tout, quand on sort un nouveau personnage, les gens ne le connaissent pas et les gens vont rarement chez un libraire pour lui demander "qu'est ce qu'il y a de nouveau ?", ou bien ils le connaissent ou bien ils le voient.

Alors le premier a eu donc une vente très faible, mais enfin ceux qu'ils l'ont acheté l'ont aimé, en ont parlé autour d 'eux et dès le deuxième Astérix la vente a été doublée et si je parle de vente quand je parle de succès c'est parce que c'est notre seul critère de succès on peut pas savoir autrement, ça paraît terre à terre mais si vous vendez beaucoup de livres c'est que c'est un succès.

Q : Et est ce que vous croyez que c'est les grandes personnes ou les enfants qui ont fait ce succès ?

RG : Oh je crois que c'est les deux, en réalité, vous êtes bien placés pour savoir que être jeune n'est pas simplement une question d'age, on peut rester jeune très longtemps, il y a des garçons plus jeunes que vous qui sont des vieux déjà et qui le resteront toujours et d'autres, mon dieu, qui aiment bien…..enfin qui gardent l'esprit assez jeune, qui aiment bien les choses qui les amusent et tout ça, par conséquent ce n'est pas une question d'age, moi je ne me suis jamais adressé spécialement aux enfants, aux jeunes gens ou aux adultes, j'ai fait des choses qui me semblaient pouvoir amuser tout le monde.

Q : Et est ce qu'il va continuer ? Il y en aura beaucoup d'autres, je pense.

RG : Ah je l'espère oui !

Q : Et comment trouvez- vous les thèmes ?

RG : Eh bien les thèmes……vous savez les idées, les thèmes tout ça, ça vient d'une façon …. inexplicable, on cherche et on finit par trouver, c'est ce qui fait la base de mon métier, maintenant dans le mécanisme, je me réunis avec Uderzo, nous travaillons ensemble, nous cherchons le thème de la prochaine aventure.

Alors, par exemple pour Astérix, nous avons une règle, mais enfin que nous suivons à peu près, que nous ne suivrons peut-être pas toujours, un épisode d'Astérix se passe à l'étranger et un épisode se passe en Gaule. Alors on cherche à peu près ce qui pourrait leur arriver.

Q : Les thèmes vous les choisissez peut-être avec l'actualité du jour ?

RG : Euh.. non pas tellement, mais enfin il peut nous arriver que l'actualité nous inspire quelque chose que nous utilisons, mais parce que ça nous a fourni une idée plus que comme actualité, par exemple en ce moment nous sommes en train de travailler sur les Jeux Olympiques, seulement c'était notre idée de le faire, depuis longtemps.

Le fait qu'il y ait les Jeux Olympiques cette année, si vous voulez, nous a donné l'idée plus pressante de le faire maintenant. Mais de toute façon quand l'album paraîtra les Jeux Olympiques seront terminés alors par conséquent…mais enfin, il peut arriver, oui par exemple j'étais à Montréal avec Uderzo et nous avons vu l'Exposition Internationale, ce qui nous a donné l'idée, peut-être un jour dans l'avenir de faire une Exposition Internationale en Gaule, parce que il pourrait y avoir des gags amusants.

Q : Combien de temps vous mettez pour faire un livre à peu près ?

RG : Un livre, environ six mois.

Q : Et comment vous le faites, c'est à dire vous mettez les idées et puis vous essayez de les creuser ?

RG : Oh ben c'est à dire…. non en réalité je fais d'abord un synopsis, un résumé, mais qui est déjà une histoire longue et très détaillée et une fois que j'ai vu ça avec Uderzo, voir si tout est d'accord, je fais un découpage, nous appelons un découpage un scénario où on décrit image par image avec le dialogue, et c'est ce découpage que je donne à Uderzo qui à ce moment là fait les dessins.

Maintenant avant ça, il y a une chose très importante, c'est la documentation, parce que pour faire Astérix, nous nous documentons beaucoup, alors par exemple si je prends un sujet sur la Grèce, et bien je lis des tas de livres sur la Grèce, sur ce qui se passait à cette époque et Uderzo de son côté recherche des illustrations.

Dring Dring

Q : Est-ce qu'il y a eu un Astérix qui n'a obtenu aucun succès et qui n' a pas été publié?

RG : Non... Non.

Q : Avez -vous voulu vous moquer des Romains dans les aventures d'Astérix?

RG : C'est à dire....oui bien sûr, je me suis moqué des Romains. Je me moque des Romains, mais des Romains comme une chose assez théorique, il faut des adversaires, mais enfin je me moque d'eux, d'une façon, si vous voulez.....c'est pas tellement parce qu'ils sont Romains, oui je me moque de différentes choses, c'est à dire, le côté pompeux des Romains, bien sûr je le démonte, les petits travers de l'armée, je les démonte aussi, des choses comme ça. Mais enfin, mes légionnaires Romains sont comme mes Gaulois, ce sont des braves types, quoi, ils sont là, ils aimeraient mieux être ailleurs.

Je ne suis jamais vraiment méchant avec eux, quand je me moque plus fort d'un Centurion, c'est plutôt d'un chef que je me moque, plutôt que d'un Romain.

Je pense que vous aurez le plaisir de faire votre service militaire, moi je l'ai fait, et bien...... évidemment il y a des gens qui disent : "Moi quand je sortirai, je règlerai son compte à l'adjudant".......ben moi j'ai fait Astérix.

Q : C'est un genre de vengeance.

RG : De vengeance, non, c'est simplement un défoulement, vous savez c'est un petit peu le plaisir qu'on prend quelquefois à démonter l'autorité établie.

Je pense qu'au lycée, de temps en temps, vous vous amusez à vous moquer d'un professeur, ce n'est pas parce que vous haïssez le professeur ou vous avez envie de vous venger de lui, c'est une petite défense inoffensive.

Dring Dring

Q : Je voudrais savoir aussi si vous relisez vos anciennes œuvres et si vous trouvez des choses que vous ne feriez plus maintenant.

RG : Vous savez dans un travail comme le mien, il faut toujours se perfectionner, il faut toujours faire mieux, par conséquent quand je lis, je ne lis pas très souvent mes livres parce que je crois que c'est un peu à éviter, je le fais quand l'album sort et je le relis beaucoup plus tard, quelquefois des années plus tard.

Alors évidemment je trouve des choses que je regrette d'avoir fait, mais vous savez en général, à part quelques petites choses dont on est content, on regrette toujours d'avoir fait ce qu'on a fait, on pense qu'on aurait pu faire mieux.

Le jour où je penserai que je ne peux plus faire mieux, et bien à ce moment là, il faudra que je fasse un autre métier.

Q : Est-ce que vous pensez que la parution d'Astérix dans Pilote rende la vente des albums moins importante ?

RG : Non, non absolument pas. Assez curieusement d'ailleurs ça n'a aucun rapport, ça ne change rien, au contraire même.

Q : Qui est votre plus grand concurrent ?

RG : Oh! je n'ai pas de concurrent, j'ai des confrères ce n'est pas la même chose, la vente de l'un ne gène pas à la vente de l'autre, le succès de l'un ne porte pas ombrage au succès de l'autre.

Disons celui que j'admire le plus, plutôt que concurrent, et bien je crois que ça reste Hergé, j'aime beaucoup Hergé, j'aime beaucoup Tintin, j'aime bien la façon dont c'est fait…

Mais il en a beaucoup, vous savez, il y a des tas de dessinateurs comme Franquin qui fait Spirou, bien sûr les anciens, Alain Saint-Ogan qui faisait Zig et Puce, qui sont des gens que j'admire beaucoup…. Morris fait Lucky Luke mais là je ne peux pas en parler parce que je le fais avec lui, mais Morris est un grand dessinateur.

Dans notre métier la notion de concurrence ne joue pas tellement, elle ne joue pas non pas parce que nous sommes meilleurs que d'autres, c'est pas pour ça mais enfin c'est parce qu' effectivement le succès de l'un ne porte pas ombrage au succès de l'autre.

Q : Est-ce que vous êtes content du film qu'on a tiré de votre album ?

RG : Comme je vous l'ai dit, je ne suis jamais vraiment content de ce que j'ai fait, pour ce qui est du film, au point de vue technique, non, honnêtement je n'en suis pas content parce que c'était un premier essai, mais nous savions que nous n'allions pas en être content, seulement il fallait prendre le risque, il fallait se jeter à l'eau pour pouvoir faire mieux la prochaine fois, comme disent les sportifs, et nous sommes en train de travailler sur un autre film, qui lui, à mon avis sera infiniment meilleur au point de vue technique.

Q : Ce sera sur quel album ?

RG : Astérix et Cléopâtre, seulement nous allons rajouter beaucoup de choses, ce que nous n'avons pas fait pour le premier et au point de vue technique, parce que la technique du dessin animé est une chose très compliquée, ce sera infiniment meilleur.

Q : Est-ce que vous avez une équipe qui dessine ou qui fait les textes ?

RG : Non, non nous travaillons à deux, Uderzo et moi.

Q : Est-ce que vous avez fait un personnage qui n'aurait eu aucun succès et que vous aimiez bien ?

RG : Des personnages on en a fait beaucoup, il y en a qui ont été adoptés plus ou moins par le public, j'ai fait des choses, oui, qui n'ont pas eu de succès, mais on ne peut pas dire que j'ai des regrets.

La plupart des personnages que nous avons faits et que nous avons aimés, ont bien marché, celui que nous regrettons d'avoir abandonné, que nous reprendrons peut-être un jour, nous l'avons abandonné simplement parce que nous n'avions plus le temps de le faire, c'est Oumpah Pah, qui passait dans le journal de Tintin et qui était un personnage que nous aimions beaucoup, mais il avait du succès.

Q : Est-ce qu'il y a une école de Bandes dessinées ?

RG : Non malheureusement ça n'existe pas, enfin il y a des cours de Bandes Dessinées paraît il, mais enfin il n'y a pas vraiment une école et je dois dire que ce que j'ai vu jusqu'à présent ne m'a pas convaincu, il y a maintenant une organisation américaine de cours par correspondance, ils se sont mis en rapport avec moi, ils m'ont montré des choses intéressantes et ils vont donner des cours de Bandes Dessinées qui me semblent assez intéressants, mais enfin ça n'est quand même qu'une école par correspondance……. Non je ne crois pas qu'il y ait grand chose malheureusement.

Q : A quoi sert un rédacteur en chef ?

RG : Et bien un rédacteur en chef, c'est celui qui dirige tout un journal, qui décide ce qu'il y aura dans le journal, qui donne le ton au journal et qui choisit tout ce qu'il y aura dedans.

C'est vraiment le commandant d'un bateau, il a un pouvoir assez grand, enfin c'est un peu un dictateur, seulement si le tirage du journal baisse, et bien on change de rédacteur en chef, on change de commandant.

Q : Qu'est ce que vous demandez comme qualité à une Bande Dessinée ?

RG : Oh une qualité, c'est qu'elle plaise au lecteur, c'est la qualité primordiale, je dois même faire taire mes goûts personnels…. quelquefois il peut y avoir une Bande Dessinée que moi, personnellement je n'aime pas beaucoup mais que le lecteur aime bien et par conséquent c'est le lecteur qui a raison.

Maintenant ce que je demande à une Bande Dessinée en tout cas c'est d'être bien dessinée et que les idées soient originales, je ne peux pas supporter qu'une Bande Dessinée soit une copie de quelque chose qui a déjà été fait. Et puis il faut que ce soit bien fait, il faut que les auteurs aient du talent et que surtout ils travaillent beaucoup, que je vois dans ce qu'ils font un grand soin.

Q : Et est ce que vous allez faire un Astérixland ?

RG : Oh! je ne pense pas, je ne sais pas, vous savez je ne suis pas Walt Disney, nous sommes en France, nous ne sommes pas en Amérique, il y a des choses qu'on peut faire là bas qu'on ne peut pas faire ici et puis je n'ai pas l'âme d'un industriel, non pas que ça soit péjoratif, c'est très bien d'avoir l'âme d'un industriel mais enfin je me vois assez mal en train de gérer des histoires d'Astérixland.

Maintenant il ne faut pas préjuger de l'avenir, on ne sait jamais…

Q : Et quels conseils vous donneriez aux jeunes qui voudraient suivre votre carrière ?

RG : Des conseils…. vous savez c'est très difficile de donner des conseils, moi quand j'étais jeune, je ne les acceptais pas, je ne vois pas pourquoi les jeunes les accepteraient maintenant.

Des conseils, je ne peux pas en donner, je crois que c'est toujours assez, comment dirais-je, assez imprudent de donner des conseils, la seule chose….. je peux les prévenir de quelque chose, par exemple que c'est un métier extrêmement difficile, horriblement difficile, que ça demande énormément de travail et beaucoup de patience, quand on veut se lancer dans ce métier, il ne faut pas espérer, sauf miracle, de réussir tout de suite à avoir du succès, il faut travailler longtemps en gagnant très peu d'argent ou en n'en gagnant pas du tout, enfin c'est très très difficile.

Maintenant d'ailleurs c'est encore plus difficile qu'à l'époque où j'ai débuté.

Q : Et est ce que vous avez fait ça tout de suite, quand vous étiez jeune vous avez voulu tout de suite être dessinateur ?

RG : Oui, oui depuis j'étais tout petit même, tout petit je voulais faire rire les copains.

Q : Et vous pourriez me dire pourquoi vous avez retiré Le Petit Nicolas de Pilote?

RG : Et bien, Le petit Nicolas, tout simplement parce que avec Sempé, nous l'avons fait pendant sept ans, toutes les semaines, et que nous avons décidé à un moment donné d'arrêter un peu parce que nous étions un peu fatigués, c'était aussi assez difficile à faire. Maintenant il n'est pas impossible que nous le reprenions, c'est tout simplement parce qu'au bout d'un certain temps, mon dieu, surtout que c'était très très très difficile à faire, toutes les semaines un conte de Nicolas, c'était vraiment très dur, alors vous savez, sept ans c'est long.

Alors on a arrêté, peut-être qu'on le reprendra, on en parle avec Sempé de temps en temps.

Q : Bon ben je vous remercie.

RG : Mais je vous en prie.